L’incommensurable, l’inouï, la vraie vie
Éditeur : Descartes & Cie
1ére édition
Collection : Essais
Thème : Sciences humaines et sociales
Auteur(s) : Bompied Jean-Pierre, David Pascal, Branco Linda, Douchevsky Alain, Hochart Patrick, Klein Étienne, L'yvonnet François, et Jullien François
Langue :
Paru le 18/01/2023
Prix TTC : 14,00€
EAN : 9782844463661
Dimensions : x mm.
L’incommensurable, l’inouï et la vraie vie
Présentation
L’incommensurable, l’inouï, la vraie vie sont les titres d’ouvrages de François Jullien. Ce sont trois concepts qui forment un triangle isocèle dont l’incommensurable et l’inouï sont les deux angles de base et la vraie vie le sommet.
L’incommensurable dit la fêlure qui se découvre en beaucoup de points de notre expérience : tout n’y est pas bord-à-bord ou de plain-pied. Comme dans les nombres incommensurables, un hiatus y subsiste qu’on peut vouloir boucher mais qui ne se réduit pas. L’incommensurable dit simplement que cela n’entre pas dans la commune mesure que constitue l’ordre des nombres. Ainsi entre le plaisir et la jouissance, qu’on dit pourtant synonymes : le premier laisse mesurer sa satisfaction, l’autre a versé dans l’oubli de toute satisfaction. Il y a de l’incommensurable également entre la relation sociale et la relation intime : on fait un saut irrésorbable de l’une à l’autre.
Parce qu’elle est irréductible, cette fêlure d’incommensurable ouvre un infini dans l’expérience. L’infini n’est donc pas seulement aux extrémités de l’expérience (l’infiniment grand ou l’infiniment petit), comme on se le représente d’ordinaire. Il se découvre au cœur de l’expérience un infini irréductible qu’on ne peut éliminer : notre existence est traversée de ces fêlures d’infini. Ces ressources d’incommensurable sont à détecter, mais à garder comme des ruptures, sans vouloir les boucher par autre chose, par du Sens et de l’idéologie.
En regard de l’incommensurable, l’inouï dit, non la fêlure, mais le débordement de notre expérience. L’inouï est ce qui reste à la lisière et que d’ordinaire on n’entend pas. Car l’expérience ne devient « expérience » qu’en se rangeant dans des cadres déjà constitués : elle laisse donc échapper ce qui n’y trouve pas d’emblée sa place et qui par-là demeure « in-ouï ». Cet inouï n’est pas pour autant l’extraordinaire ou l’exceptionnel avec lesquels on le confond, car il peut être au contraire le plus ordinaire. L’inouï, autrement dit, est plutôt l’autre nom du « réel », mais du réel auquel on n’accède pas parce qu’on ne peut le ranger dans l’expérience balisée ; et c’est pourquoi on le projette par commodité à l’extrémité de notre expérience et qu’on en fait de l’ « extraordinaire » ou de l’ « insolite », comme le fait dans sa définition le dictionnaire pour nous en débarrasser. Que l’inouï puisse être le plus ordinaire, se vérifie d’ailleurs le plus simplement : vivre est de tout le plus inouï. Nous ne cessons de vivre, mais sans nous rendre compte de l’inouï de vivre, parce que vivre ne se laisse pas enfermer dans les cadres et les cases de notre expérience. Aussi faut-il fêler ces cadres figés de notre expérience pour pouvoir en déborder et commencer d’en entendre l’inouï. Tel est donc l’inintégrable qui relie l’incommensurable et l’inouï et les instaure en vis-à-vis. C’est pourquoi aussi, fêlure et débordement allant de pair, il faut fêler notre langage ordinaire pour le faire déborder dans sa capacité de dire, comme notre vie dans sa capacité d’exister, et pouvoir y dire l’inouï – ce que fait la poésie.
Comme l’in-commensurable, comme l’in-ouï, la « vraie vie » est également un concept à entendre en creux, de façon négative ou plutôt nég-active, même s’il s’affirme en plénitude. Car le concept de vraie vie n’énonce pas quelque vérité sur la vie ni n’indexe la vie sur une vérité, mais fait ressortir ce qui est l’opposé de la « non-vie », de la vie qui « ne vit pas », de la vie qui n’est pas « une vie », qui n’est au fond qu’une apparence de vie. Sa logique n’est pas celle de la fêlure comme l’incommensurable ou du débordement comme l’inouï, mais elle est celle du dé-couvrement : retirer ce qui masque la capacité de la vie à vivre et qui l’étiole. La vraie vie, autrement dit, se révèle quand s’y dégage ce qui recouvre l’expérience de la vie au point qu’on n’en perçoit plus ni l’incommensurable ni l’inouï. C’est pourquoi le concept de vraie vie est l’aboutissement des deux autres comme à leur départ, à la fois leur horizon et leur condition.
Auteurs
Jean-Pierre Bompied, enseignant de philosophie, a publié récemment Penser par écart, le chantier conceptuel de François Jullien, Descartes& Ce, 2019.
Linda Branco, artiste (art souterrain et art collaboratif), anime l’association Décoïncidences
Pascal David, philosophe, a publié de nombreux ouvrages, Penser la Chine, interroger la philosophie avec François Jullien, Hermann, 2016
Alain Douchevsky, philosophe, collabore à la revue Approches
Patrick Hochart enseigne la philosophie à l’UniversitéParisVII-Paris Diderot
Étienne Klein, physicien, philosophe des sciences, a publié de nombreux ouvrages et récemment Le goût du vrai, Gallimard, 2020
François L’Yvonnet, philosophe, éditeur (Éditions de l’Herne), a publié récemment François Jullien, une aventure qui a dérangé la philosophie, Grasset, 2020
François Jullien, philosophe, a commencé son travail en Chine avant de déployer sa puissance conceptuelle et sa singularité dans de multiples domaines. Il est l’un des penseurs contemporains les plus traduits dans le monde.
L’incommensurable, l’inouï et la vraie vie
L’incommensurable, l’inouï, la vraie vie sont trois concepts, trois outils théoriques au service d’une philosophie du vivre que ne résume que très imparfaitement la formule : « Vivre sa pensée et penser sa vie », motif de toute philosophie depuis les Grecs.
Chacun à leur façon, ces trois concepts renvoient au « vraiment vivre » : à l’inouï de la vie ; à l’incommensurable qui peut changer la vie; à la vraie vie, qui est le refus de la non-vie.
Nous faisons tous le constat au quotidien que notre vie est menacée de se perdre dans la résignation, l’adéquation, la coïncidence. « Il faut décoïncider d’avec une apparence de vie, pour promouvoir la vraie vie ».
L’enjeu est aussi politique car il concerne la vie de la Cité, le « vivre » des citoyens. On ne peut se contenter de prendre acte d’une « défaite de la pensée », regretter les grands récits de jadis et les lendemains qui chantent, évoquer notre passée glorieux ou pleurer nos identités perdues. Le chantier philosophique de François Jullien met à la disposition de chacun des outils conceptuels capables de fissurer les fausses évidences.